Sortie Nocturne

Il faisait nuit au-dessus du Lac Chen, et la Lune, couverte par les nuages sombres, n'éclairait plus rien. Pourtant, si on observait bien le sol, on pouvait apercevoir pendant une fraction de secondes, une silhouette souple qui se déplaçait.

Elja pestait contre elle-même. Quelle idiote elle faisait !

Guidée par son impulsivité légendaire, la jeune femme avait fait un long voyage pour arriver jusqu'au Lac, ne se préoccupant de rien. Au diable ses chefs et ses compagnons ! Croyant en sa bonne fortune, elle avait espéré que le ciel serait dégagé et la Lune pleine, aussi lumineuse que des centaines de bougies.

Elle s'autorisa à proférer un juron à voix haute. Bon sang ! Elle ne distinguait plus rien. Et elle n'était pas venue pour mettre ses sens à l'épreuve !

Ici, elle n'accomplissait pas d'obscures missions, d'assassinats cruels, de machinations tordues. Non, elle venait juste pour se recharger. Se recharger de solitude, et de sérénité. Elle voulait du calme, et non utiliser ses ( certes, prodigieux ) talents.

- Bon, on reste zen. Qu'est-ce que ça peut bien faire que je vois clairement ou pas ? se raisonna-t-elle, peu désireuse de s'énerver contre un évènement où elle n'y pouvait rien.

Sa voix, calme, résonna étrangement dans le silence de la nuit. Elle leva les yeux au ciel, poussée par une envie puérile, et admira un instant les étoiles qui le parsemaient. Les nuages s'étaient un peu dégagés, hélas, pas assez pour apercevoir la Lune. Un sourire fugace apparut sur ses traits. Elle adorait les étoiles.

Elle se glissa vers le Lac, furtive. Elle n'était pas là pour contempler, ni avoir l'air profondément niaise.

Dans sa main droite, un poignard et dans la gauche, un long sabre tranchant. Plusieurs fois, elle avait été victime de pièges mortels qu'elle n'avait pu éviter au prix de terribles efforts ou de graves blessures. Oui, lorsqu'on était seule contre vingt, les chances de s'en sortir indemne étaient très minces... Depuis, elle était plus prudente. Et beaucoup plus dangereuse.

Elja ferma alors les paupières. Ne bougeant pas, immobile, le corps tendu, ses armes effilées prêtes à l'emploi, elle écoutait.

Aucun bruit de respiration. Aucun son étouffé. Aucun murmure. Elle se détendit, mais garda sa position une bonne dizaine de minutes, laissant ses pensées divaguer. Toujours à l'affut, pourtant.

Très bonne technique que de parler tout fort, d'ailleurs, en y repensant. Si des ennemis auraient été présents, ils se seraient tout de suite dirigés vers elle, l'origine du son.

Erreur fatale. Elle se serait écartée bien loin, et aurait pu les prendre par surprise.

Elle passa une main lasse dans ses cheveux noirs. Mercenaire du Chaos. Elle aimait ce qu'elle faisait, convaincue par l'utilité du Chaos. Cependant, elle devait toujours être sur ses gardes. On lui voulait du mal. Souvent.

Rassurée, la jeune femme continua sa progression. Lorsqu'elle fut arrivée, que ses bottes effleurèrent l'eau impassible du Lac, que les reflets fluides de l'eau furent proches, Elja lâcha ses armes. En un seul mouvement souple, elle détacha les lanières de cuir de ses vêtements. Ils tombèrent, dans un froissement soyeux par terre.

Elle se baissa, enleva ses bottes en cuir.

Sa tunique ample un peu rugueuse lui tombant maladroitement sur ses cuisses, ses jambes et bras nus frissonnant, ses cheveux détachés, ses prunelles pétillants de malice, on l'aurait dit enfant. Enfant, certes, si on enlevait cette aura palpable autour d'elle et les coutelas ceints à ses mollets et autour de ses hanches...

Elle prit une grande inspiration et s'avança. L'eau monta. Froide. Elja sentit son coeur manquer un battement. L'eau était vraiment glacée. Elle continua, n'écoutant pas sa raison qui la suppliait de sortir. Bientôt, tout son corps fut immergé.

Dès qu'un peu de temps lui était accordé, elle venait là. De préférence, les nuits de pleine Lune. Et elle nageait, malgré l'étau douloureux que lui infligeait l'eau. Et c'était bien.

Elle plongeait, faisait des courbes et arabesques, allait au plus profond. Tant pis si elle était frigorifiée, si elle tombait malade. Si elle croisait d'étranges animaux.

- Bon, je pense qu'il est temps de mettre la tête, déclara-t-elle.

Nouvelle inspiration. Profonde. Porteuse de force, de courage. Esquisse de sourire. Plaisir.

Elle se laissa couler.

Et ne put donc pas voir l'ombre qui se tenait plus loin, dans l'herbe. A coté de ses vêtements, de son sabre, de son poignard. Elle ne vit pas non plus que l'ombre l'observait.

Ce matin-là, Erwin Sil' Afian, Empereur bien qu'encore très jeune, n'en pouvait plus des murs cloisonnés de son château. Voilà 3 jours que le monarque s'y était enfermé, entouré de quelques conseillers triés sur le volet et qu'il réfléchissait à la situation du pays. Cette occasion n'était pas une cellule de crise mais une simple tradition politique : chaque mois, durant 3 jours entiers, l'Empereur et ses Conseillers effectuaient "L'Examen territorial" : une tâche lourde et complexe qui devait faire le tour de tous les domaines et axes politiques, économiques et sociaux de Gwendalavir. La réunion s'était terminée dans un soupir de soulagement collectif et c'est avec joie que l'Empereur s'était accordé quelques heures, qui étaient devenues une journée, en dehors de son palais.

Erwin avait devisé en chemin avec quelques paysans vivant autour des enceintes de la ville ; ceux-ci, honorés de recevoir leur monarque, avaient multiplié les démonstrations d'admiration et d'affection mais pour certains aussi, de dédain. Gwendalavir était en ce point très divisée : La majorité de la population se réjouissait d'un sang jeune sur la couronne mais quelques récalcitrants voyaient d'un mauvais œil la passation du pouvoir à une âme aussi fougueuse et incertaine, dans tout l'éclat de l'imprudente jeunesse.

Erwin avait donc accepté chaque invitation, comme l'étiquette le recommandait, et avait déclaré chaque plat plus délicieux que l'autre dans chacune des maisonnées visitées, ce qui fit que le pauvre Empereur eut bientôt le ventre plus que plein. Remontant d'un geste adroit sur son destrier, le monarque remercia avec effusion ses (nombreux) hôtes et lança sa monture au galop. Bien que rencontrer son peuple était toujours une joie, les paysans avaient quelque peu mis Erwin en retard dans son programme et c'était avec empressement qu'il se dirigeait vers le lac Chen.

Après quelques heures de course endiablée, l'Empereur arriva enfin à destination : laissant sa monture attachée à un bouleau, il prit soin d'ôter tout objet caractéristique de sa fonction et se dirigea le pas léger vers le lac qu'il rêvait de contempler depuis trois jours. On disait que c'était le meilleur endroit en Gwendalavir pour observer la lune et ses soeurs, et encore une fois Erwin dût se rendre à l'évidence. Bien que le lac Chen fût depuis peu ajouté à la liste des "zones dangereuse" de Gwendalavir, Erwin Sil' Afian ne pouvait se résoudre à se défaire de cet endroit, si propice à la méditation et la réflexion. Et de la réflexion, il avait de quoi en nourrir après les retrouvailles inespérées entre lui et son frère Azurian.

Il faisait sombre mais la lune éclairait d'un halo pâle le lac et ses environs, découvrant aux yeux d'Erwin un petit amas de vêtements et ce qui semblait être une arme sur la berge. Interloqué, l'Empereur s'avança avant de remarquer une présence dans le lac. Son "lieu secret" n'était plus si secret à présent. Erwin profita de ce que la personne qui se révélait être une jeune fille s'immergeait totalement dans l'eau pour examiner les vêtements laissés au bord du lac. Des habits souples, un ou plutôt plusieurs poignards effilés et un sabre qui l'était d'autant plus. Simple voyageuse, Marchombre ou... ?

Erwin s'assit lentement sans bruit. La jeune fille avait maintenant sorti la tête de l'eau et semblait grandement apprécier ce moment. Elle plongeait, décrivait des arabesques,... Quand s'apercevrait-elle de sa présence ?

[ HS : Désolée du temps de réponse, je croyais que tu ne m'avais pas répondue --' ]

Lorsqu'Elja toucha le fond, elle remonta rapidement. Elle pouvait tenir pendant quelques minutes sa respiration mais cela devenait trop pour elle. Ses poumons la brûlaient, sa tête tournait. Tiens... Une pensée fugace lui traversa l'esprit. Elle n'avait pas connu cette sensation depuis bien longtemps. Depuis que ses parents étaient morts.

Elle jaillit enfin de l'eau et respira un bon coup. Un rire perlé fusa de ses lèvres.

Ses cheveux lourds retombaient sur ses épaules, ses yeux papillonnaient de joie, ses mains esquissaient dans le lac des dessins. Ses pieds battaient l'eau pour la maintenir à la surface, sa respiration était redevenue régulière. Ainsi, on l'aurait dit sirène indolente, cherchant un beau marin à emmener dans les profondeurs de la mer...

Elle était bien.

Elle cessa de rire et nagea tranquillement. Elle se sentait lasse, maintenant. Fatiguée.

Soudain, un crissement, un soupir léger, retentit à ses oreilles. Oh oh. Lentement, elle se retourna et fit face à la berge. La jeune femme plissa les paupières. Elle put discerner une vague ombre près de ses vêtements. De ses armes.

Son coeur battit plus vite. Personne ne l'avait jamais attaqué ici. Bien sûr, elle gardait toujours ses automatismes de défense mais, en y repensant, elle n'avait jamais eu de combats, ni d'adversaires. Cet endroit, pourtant classé dangereux, était devenu son lieu à elle, calme et relaxant. Son jardin secret... ?

Ici, Elja Nox disparaissait pour faire place à une gamine insouciante. La mercenaire s'effaçait. Et là, on l'obligeait à ré-endosser son rôle. Elle grimaça. Un nouveau meurtre l'attendait, sans doute.

Elle plongea. Elle savait à peu près se repérer et se dirigea tout droit. Autant l'affronter. S'enfuir ? Pour les lâches. Et qui sait, il avait peut-être fouillé ses affaires, et trouvé des choses... Compromettantes. Elle était habillée ( Elja concédait volontiers que c'était gênant et peu prudent de se battre nue ), possédait deux ou trois couteaux sur elle. Il faisait sombre et elle était silencieuse.

Elle arrive à la berge. Discrète, elle s'accroupit, fit un large détour pour éviter l'ombre ( elle ne discernait pas grand-chose dans la nuit ) et se plaça de telle manière qu'elle se trouva derrière la personne. Une silhouette masculine. Un homme. Elle n'avait pas pu prendre ses armes, ni ses vêtements. Il était trop proche.

Elle sortit un des poignards qui étaient ceints à sa cuisse. Bon, elle ne pouvait pas le tuer tout de suite. Son maître lui avait plusieurs fois rappelé que sa fougue, son impétuosité étaient ses principaux défauts et que cela lui faisait commettre des erreurs stupides.

Dans un geste fulgurant de rapidité, elle plaça la lame sous la gorge de l'ombre. C'est d'une voix glaciale qu'elle dit :

- Qui es-tu et que me veux-tu ? Dis-moi la vérité, ou je te tranche la tête.